Chaque jour je rentre dans la chambre pour la
surveiller et elle est là, indéfectiblement là, et même si je sais qu’elle y
est je le doute, lors d’une absurde seconde je le doute, je ne sais pas
pourquoi, peut-être parce qu’au fond il me semble impossible de pouvoir rester
en silence dans la chambre, la vieillarde allongée au lit jour après jour le jour,
pour le restant de sa vie déjà. Mon étonnement à cause du manque de sens et de
la résistance à la mort, et tout souligné par le silence. Je m’étonne à chaque
fois que je la vois au lit, vivante, respirant faiblement mais respirant, haletant,
le souffle faible mais suffisant pour la maintenir vivante, qu’elle soit là. C’est
toujours pareil, mon étonnement et la constance imperturbable de sa vie. Puis
le tout petit pot à fleurs sur le rayon, au pied du lit, l’horrible pot à
fleurs artificielles, en plus artificielles !, même le pot semble
artificiel, en plastique comme les fleurs que je me rends compte que ne sont
pas tellement fleurs mais des imitations plastique, et alors que je m’y
rapproche je n’y vois pas tellement de fleurs mais des poivrons, quelques
horribles poivrons rouges sous forme de fleurs, on dirait sur la distance, mais
non, ce sont vraiment des petits poivrons rouges, une image effrayante au point
qu’il faudrait tuer l’inventeur de ces petits poivrons du pot à fleurs que je
me demande ce qu’il fait là, dans la chambre, le mauvais goût de la vieillarde,
bien que je ne sais pas si elle l’aime, si ça a été elle qui a choisi d’avoir
dans la chambre où elle va passer le reste de ses jours le pot à fleurs aux
poivrons rouges. Il pourrait y avoir bien des beaux pots à fleurs naturelles,
mais non, il y a ce pot à fleurs-là, le plus moche des pots à fleurs
imaginables, tout petit, au coin, sur le rayon en bois, très beau le rayon, ce
qui justement souligne la laideur du pot à fleurs et le rend plus laid encore,
plus effrayant, aussi bien impossible que ça me semble.
Je regarde de près la figure de la vielle, ses
rides, son expression morne qui avance la mort, la même expression qu’elle aura
quand elle mourra, pense-je, l’expression exacte de la mort, pense-je imbécilement,
comme si la mort avait d’expression, mais elle est encore vivante,
miraculeusement vivante, pense-je, et puis je ne résiste plus d’être là est me
retourne vers la porte et me demande avant de quitter la chambre si je devrais
prendre l’effrayant pot à fleurs artificiel ou le laisser là avec elle. Je ne
suis pas sûr à propos du pot à fleurs, pense-je. Je sais juste qu’il est laid, du
moins que je ne l’aime du tout, et qu’il est là aux côtés de la vieillarde
malade. Cependant je ne peux pas supporter l’idée de la décadence de la femme,
sa vie au seuil de la mort. Et moi là, au seuil de la porte en la regardant,
mes yeux à droit et à gauche sur le pot à fleurs et la vieillarde, je ne peux
pas supporter l’idée d’autant d’années vécus inutilement, tout indique sa ;
le silence, l’extermination du corps, de l’esprit de la femme, ses années oubliées,
sa souffrance pour rien, pour aboutir à ce moment-là, son enfance longtemps
enterrée, ses illusions, pour terminer dans ce lit et accompagnée d’un horrible
pot à fleurs artificiel avec des poivrons rouges au lieu de fleurs. Ça je trouve
tout à fait insupportable, navrant, n’ayant rien à voir avec mon affection pour
la vieillarde, non, rien à voir avec ça, c’est juste mon inutile lutte contre l’absurdité
d’une vie entière qui pour cette simple raison ne mérite pas de se terminer
comme ça, de cette guise misérable. Et étant en proie à un accès fou je me jets
sur le pot à fleurs, le prends et sorts de la chambre avant de le jeter à la poubelle,
au risque d’avoir gâché la mort parfaite que la vieille ait pu souhaiter, va
savoir. Mais je m’en fous. Au bout du compte, toute mon angoisse a eu en tout
moment à faire avec moi, pas avec elle. Ma propre mort, le sens, pas de la vie,
mais de ma vie. Pas de sa mort, la mort de la vieillarde. Alors, qui des deux
est le plus malheureux ?
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