Cette manie des hommes de mépriser tout ce que
les autres font est irréductible. Même lorsque rarement l’on en est conscient,
l’on ne peut pas éviter de tomber dans le piège. Du coup on doit faire son
mieux, on doit travailler sans amour pour autrui, et il ne faut pas s’inquiéter
puisqu’il est faux que sans amour pour autrui on peut pas trouver le
bonheur. L’impossibilité de servir nous rendrait malheureux, bien sûr, mais servir
ne veut pas dire consacrer amour pour ceux auxquels on sert. On ne doit
travailler que pour soi pour satisfaire les autres, les autres qui ne vont pas
reconnaitre le mérite de ce que leur satisfait de notre travail. On doit
travailler, donc, pour son amour de soi. C’est comme ça que l’humanité progresse. Là-dessus je recommande la
lecture d’Ayn Rand, dont King Vidor a tourné le film Le rebelle (The Fountainhead)
basé sur son bouquin homonyme.
Le mépris pour ce que les autres réalisent
atteint même celui qui reconnaît les exploits des autres. Normalement la
reconnaissance n’a rien à voir avec les mérites comme tels mais avec
l’adulation pour le sujet admiré. On adule l’autre à travers ses mérites. On
n’adule pas les mérites, mais à l’autre. L’adulation, comme Cioran le disait,
c’est la forme la plus subtile de mépris. Certes, les mérites peuvent être
appréciés, mais jamais comme ils méritent d’être reconnus, au cas où ils le mériteraient.
L’intensité de l’appréciation n’est jamais juste, et d’ailleurs il serait tout
à fait impossible d’établir la barre exacte pour cette justice. La subjectivité
entre en jeu. Tout au plus, on croit reconnaitre les mérites des autres, mais
la vérité c’est que, jusque dans la reconnaissance, le plus important, et qui
est dans l’inconscient, c’est le sujet des actions, pas les actions elles-mêmes.
Le mépris n’a pas toujours à voir avec l’envie ou la méchanceté, mais très
souvent avec le manque d’empathie inévitable qui aboutit sur l’égoïsme aussi inévitable
en tout être vivant. Il s’agit tout simplement du principe du plaisir freudien
qui en ce cas ne peut être conditionné par aucun principe de réalité.
Même l’homme empathique, l’homme le plus
sensible et intelligent qui vraisemblablement est capable de reconnaître les
exploits des autres est conditionné par l’idolâtrie de l’autre, l’autre qui en
outre ne devient que le reflex des propres souhaits et frustrations. De là que même
l’homme empathique anéantisse sa qualité en saluant les mots ou la tâche de l’homme
déjà prestigieux ou simplement prestigié, tandis qu’il méprise les mêmes mots ou tâches réalisés par l’homme
anonyme. En fait, plus proche cet homme anonyme est de lui, plus sera-t-il tenu
pour acquis, à savoir méprisé.
L’homme a un cerveau pour se guérir et guérir,
le même cerveau qui lui sert inévitablement pour se blesser et blesser étant
victime de ses contraintes.
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