Soit dit d’emblée,
loin que je me souvienne j’ai été un acolyte des Beatles et il s’avère encore
que je ne saurais vraiment dire quel est l’album le plus
faible des Beatles, d’autant plus que je trouve même stupide la question en s’agissant
de cette bande prodigieuse. Dès Please
please me jusqu’à Abbey Road les
chefs-d’œuvre se succédèrent, et de surcroît dans une période plutôt courte, en
nombre, et avec une évolution et éventail musical sidérants. Incroyable. Irrépétible.
Du jamais vu. Cependant, quant aux Beatles solo on ne peut pas dire pareil. Sans
les Beatles, le talent de chaque membre resta boiteux à jamais, et en gros tout
ce qu’ils avaient à dire l’avaient déjà dit. La révolution était déjà accomplie,
et de quelle façon !
Cela n’empêche que la carrière solo de Lennon,
McCartney et Harrison –autant laisser Ringo de côté– fût remarquable, bien qu’irrégulière
en tous les trois cas. De fait, le premier album de Lennon, le sombre et cru John Lennon Plastic Ono Band (1970) fut
un chef-d’œuvre incontestable alors qu’avait rien ou très peu à voir avec ce
que l’artiste avait produit avec les Beatles, ce qui d’ailleurs est admirable d’autant
plus que juste après Lennon publia Imagine
(1971), aux résultats presque aussi excellents. De même pour Harrison qui
publia le magnifique et incontournable triple album All things must pass en 1970, la même année de la sortie de Let it be, s’il est vrai que depuis
Harrison n’atteignit jamais ce niveau-là. Et pour ce qui est à McCartney, sa
carrière a été sans doute irrégulière… mais pour un Beatle, bien entendu. Et c’est
là-dessus concrètement que je veux réfléchir.
Paul McCartney. A mon avis, pour quiconque publie
des albums (solo ou avec Wings) tels que Ram
(1971), Band on the Run (1973), Red Rose Speedway (1973), Venus and Mars (1975), London Town (1978), Tug of war (1982), Flaming
pie (1997), Driving Rain (2001) ou
Chaos and Creation in the Backyard (2005),
et j’en passe, ce serait une carrière plus que satisfaisante voire enviable.
Mais on parle de McCartney, on parle d’un génie, et la comparaison aux Beatles
semble inévitable alors qu’injuste, de même d’ailleurs qu’il a été toujours
tout à fait injuste parler de McCartney, le précurseur du heavy metal avec Helter Skelter, le compositeur de She’s a woman, Why don’t we do it in the road,
et bien d’autres, comme la partie miellé des Beatles. Ce que c’est facile de
coller d’étiquettes ! McCartney est un personnage quelque peu kitsch et depuis
longtemps pathétique dans sa vieillesse mal menée, c’est vrai ; il a écrit
assez de chansons sucrées –ce qui ne veut pas dire nécessairement futiles en
tous les cas–, c’est vrai ; il suinte égocentrisme par tous les pores, c’est
vrai ; il est un personnage naïve dans son inévitable monde entouré d’adulation,
c’est vrai. Mais bien au-delà de son image, là on parle du musicien, et sa vaste
production dans l’éclecticisme musical est incontestable, et il a réussi largement
dans tous les domaines qu’il a essayés. Tous sauf deux, à vrai dire.
Au début des années 80 McCartney s’entêta à
aborder la musique électronique, aux résultats pénibles à mon avis, bien qu’il
y ait nombre de fans qui répètent à satiété que l’abominable album McCartney II (1980) n’est pas seulement
excellent mais aussi « innovateur dans la musique électronique ». Innovateur,
disent-ils, innovateur… Oh la la ! Si vous voulez écouter quelque chose
décente électronique mettez un disque de Tangerine Dream ou de Kraftwerk, par
exemple. Il faut être vraiment fanatique, sourd ou aveugle, va savoir, pour
faire une telle affirmation d’un album, McCartney
II, qui n’est qu’une vraie atteinte aux oreilles de n’importe qui avec d’oreilles,
une atteinte à l’exception sans doute de la chanson qui ouvre le navet, Coming up, d’où je conseille plutôt la
version de McCartney aux Concerts for the People of Kampuchea (1979),
magnifique. Bon, pour être juste On the
way ou encore Summer’s day song
sauvent l’album de l’échec total. Avec le fait maison McCartney II le musicien tenta de rentrer dans un domaine qui méconnaissait.
Légitime ? Oui. Louables, les résultats ? Non, du tout. Ça aurait été
mieux donc de laisser l’expérimentation au milieu domestique. Cependant, cette
rengaine stupide de « l’expérimental et réussi McCartney II » est arrivé jusqu’à ce jour. Mais écoutez, plutôt
que d’acheter cet album, prenez McCartney
(1970). Il est aussi domestique et expérimental, mais du moins, même s’il s’avère
peu cuit, tellement un coitus interruptus, l’album est presque réussi. C’est dommage,
quand même.
Pendant les dernières disons vingt longues années
McCartney s’est entêté à composer musique classique, ce qui à mon avis est une
mauvaise idée étant donné que l’artiste excelle lorsque la musique classique va
lui chercher, pas lorsqu’il va la chercher, voilà –rappelez-vous d’Eleonor Rigby, Yesterday, For no one, ou
encore The Long and Winding Road.
Mais le comble des ironies c’est que c’est justement pendant ces vingt années à
peu près qu’il a combiné sa négligeable musique classique avec une série d’excellents
albums de ce qu’il sait faire le mieux : le pop-rock.
Le vieux McCartney perdit sa voix à trente et quelques
ans, peu après doncs de quitter les Beatles ; le vieux McCartney n’a pas la
force musicale d’à vingt-cinq ans. Mais son talent reste intact. Et il est plus
sage. Un jour on va parler de McCartney sans préjugés, pour ce qu’il a fait
exactement, et jusqu’au bout. Un jour on va parler de McCartney sans le
mépriser dans le paradoxe de le louer juste comme le génie Beatle qu’il fut. Et
on va s’étonner.