Omelette pour Noël

Je vis qu’il n’y avait personne dans la cafétéria, ou plutôt qu’il ne restait personne, parce qu’avant d’entrer j’espérais trouver l’endroit bondé, va savoir pourquoi. Le truc, c’est que j’étais content de savoir que pour le moment je pouvais déjeuner tout seul, accompagné que par la serveuse derrière le comptoir qui me semblait assez sympa lorsque je lui demandai une omelette, s’il vous plaît. L’endroit avait bien l’air de servir de bonnes omelettes, je reconnais une bonne cafétéria pour la qualité de ses omelettes quand c’est le cas qu’on sert d’omelettes, bien entendu, et à mon avis une omelette doit se servir peu cuite. Une cafétéria qui sert des omelettes cuites, sans parler de grillées, n’est pas une bonne cafétéria même si l’on sert d’excellent café, bière ou ce qu’il soit. A quoi sert une bière de qualité si l’on l’accompagne d’une omelette trop cuite, comme une semelle? A vrai dire la qualité de l’omelette n’a pas autant à voir avec la qualité de l’œuf, de la poule ou de l’honnêteté ou l’idiotie méchante du paysan en nourrir la poule, que de la sensibilité de la serveuse dans ce cas.  Et elle me semblait sensible, la serveuse, sensible et raisonnablement belle, je me dis, et ça ne pouvait pas échouer. J’étais donc ravi dans l’attente de mon omelette, et quand le sandwich gagna la table il ne me déçut, bien au contraire, à première vue c’était évident que la serveuse avait fait l’omelette aux cinq sens, même amoureusement, si j’ose dire, ce qui révélait qu’elle, la femme, était mieux encore que l’excellente omelette, voilà. L'omelette était moelleuse, juteuse suintant du pain, du pain bien croustillant. Insurmontable, je crois bien. Ce que c'était magnifique, l'omelette! Quel instinct artisan. Quelle sensibilité. Quelle qualité, cette femme-là !

Quand je pris la première bouchée du sandwich je touchai le ciel à peu près, et pendant que je faillais à le toucher la serveuse était en train d’allumer la télé située devant moi, en haut, quelques tables au-delà. La femme augmenta ensuite le son de l’appareil, très gênant le son, très embêtante elle aussi augmentant le son, et tout enfin, absolument tout me fut gênant, si gênant que la litanie tout à fait insupportable des sacrés enfants de la télé annonçant à grands cris et aux voix braillardes les numéros gagnants de la loterie de Noël espagnole me passa inaperçue, ou presque.